Compteur Linky et données personnelles

Les « compteurs intelligents » Linky s’installent dans toute la France depuis décembre 2015 avec 175 000 appareils déployés par semaine. La transformation numérique devient une actualité à part entière, même dans le domaine de l’énergie. Néanmoins, la controverse liée aux données personnelles a pris le devant de la scène dès les premières heures du dossier Linky. Alors d’où viennent ces réticences et comment sont-elles traitées ? 
Wikipower revient sur la polémique Linky.

 

 
 

Le Linky, une nouvelle ère d’autorégulation.

« Il s’agit de donner au consommateur les moyens de sa citoyenneté énergétique, c’est à dire d’être parfaitement informé de sa consommation, de comment il peut moduler sa consommation, de comment il peut commander à distance sa consommation. » En 2015, c’est la ministre française de l’environnement, Ségolène Royal qui prend la parole pour présenter les nouveaux compteurs intelligents Linky pour l’électricité et Gazpar pour le Gaz. Ces appareils mettent alors en avant l’émancipation énergétique du consommateur en faveur de l’ouverture des marchés et de la transition énergétique, car rappelons-le, les compteurs intelligents font partie intégrante du plan sur la croissance verte et favorisent une consommation plus responsable. Le compteur intelligent créé par le réseau d’électricité Enedis, permet alors l’autorégulation des pratiques de consommation et favorise les gestes d’économies d’énergie grâce aux informations récoltées par le Linky. Aussi, il facilite la facturation et la prise de conscience d’une consommation réelle.

Au-delà des points présentés ci-dessus, les compteurs peuvent également donner un nouveau souffle, une nouvelle image au pays. Celle d’une société plus connectée. En effet, ces nouveaux appareils montrent une évolution dans le comptage ainsi que dans la communication de données entre les distributeurs, les fournisseurs, et les consommateurs finaux. C’est, autrement dit, un renouveau dans le domaine de l’énergie.

 
 

Les données personnelles, sujet tabou du Linky.

Vous l’avez sûrement compris, les compteurs Linky peuvent être de vraies mines d’or concernant les données personnelles de consommation. En effet, selon le consentement du consommateur, ce sont des données spécifiques qui peuvent être récoltées. On parle là de la déduction des heures de lever et de coucher des occupants du logement, des périodes d’absence ou de pic de consommation, le nombre de personnes présentes dans le logement, etc.
D’un côté, l’entreprise Enedis assure qu’aucun détail sur les consommations n’est enregistré (quel appareil électroménager est utilisé lors du pic de consommation), tandis que de l’autre, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) incriminait en 2016 ce compteur déjà « très bavard ».
Pour aller plus loin, il est important de savoir que le processus de transmission des données, encadré par la Commission National de l’Informatique et des Libertés (CNIL), a initialement été validé par l’autorité nationale en terme de sécurité et de défense des systèmes d’informations : l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (Anssi).

D’après ce processus, nous pouvons lister quatre types de données récoltées par le compteur Linky :

– Les données de consommation, elles sont soumises à une autorisation obligatoire de la part du consommateur pour qu’un tiers puisse y avoir accès. Ces données sont récoltées sur une base journalière par Enedis et permettent donc au consommateur de suivre sa consommation quotidienne. Avec ce type de données, les clients ne paient plus leur facture sur la base d’une consommation estimée, mais bel et bien à partir de la consommation réelle.
Ces données de consommation sont disponibles sur l’espace personnel mis en ligne par Enedis.
– Les données de consommation détaillées, appelées « courbe de charge », sont récoltées toutes les 30 minutes (pouvant aller jusqu’à 10 minutes avec votre consentement), elles sont alors plus précises. Ces données sont enregistrées localement, c’est-à-dire dans le compteur et peuvent être transmises à Enedis après obtention du consentement de la part du consommateur.
– Les données contractuelles, ce sont les données en rapport avec votre profil client auprès d’Enedis (code postal, ville, consommation annuelle de référence, et puissance souscrite). Ces données sont transmises au fournisseur qui sollicite Enedis afin d’établir un contrat d’électricité.
– Les données de production, qui concernent les personnes ayant une installation de production d’énergie renouvelable (par exemple, des panneaux photovoltaïques).

Cette collecte de données agit rapidement comme un tremplin à un débat contemporain intense, celui de la protection des données personnelles. En effet, même si l’accès aux données personnelles (nom, prénom, e-mail, numéro de téléphone) n’est pas donné aux fournisseurs sans l’accord du consommateur, des données très précises de consommation sont tout de même enregistrées localement, dans une machine facile d’accès, qui peut s’exprimer à tout moment à la simple pression d’un bouton.

 
 

Peut-on refuser le remplacement du compteur actuel par un compteur Linky ?

Le refus de la pose du compteur est interdit car ce dernier appartient aux collectivités locales et par conséquent au domaine public. Le propriétaire n’a alors pas le droit de refuser l’accès à son compteur à l’entreprise Enedis. Toutefois, si le compteur est à l’intérieur d’un logement, les techniciens d’Enedis n’ont aucunement le droit de forcer la porte du logement concerné pour procéder au remplacement du compteur sans le consentement du client. Les personnes refusant Linky chez eux ne pourront alors pas profiter des avantages tarifaires ou des services qu’apporte ce nouveau compteur.
Quelques collectifs « anti-Linky » se battent néanmoins et ont saisi la justice afin d’étendre cette interdiction et ainsi permettre le refus d’installation du compteur, même si celui-ci est à l’extérieur de la propriété.
Concernant la récolte des données, il est possible via l’espace client sur le site du distributeur, de changer les paramètres de confidentialité.

 
 

Les données peuvent-elles être détournées à de mauvaises fins ?

C’est ce qui est reproché à Enedis par certains collectifs « anti-Linky » ou encore par l’association UFC Que Choisir qui reproche au compteur Linky une récolte excessive des données de consommation « Celui-ci (le fournisseur d’électricité) a accès à ses (le client) données de consommation en temps réel, jusqu’à la seconde près » .

Alors que la CNIL a publié plusieurs rapports d’expertise (recommandation précisant les conditions de collecte en 2012 et adoption d’un pack de conformité « compteurs communicants » détaillant les règles à respecter pour protéger la vie privée des personnes en 2014), la commission met en lumière deux points lors de sa mise en demeure des entreprises EDF et Engie en février 2020 :
– Les « modalités de recueil du consentement sont insatisfaisantes pour la collecte des données de consommation issues des compteurs communicants Linky »,
– La « durée de conservation excessive des données de consommation ».

Dans ce cadre, la CNIL donne 3 mois aux acteurs pour mettre en conformité la manière dont la collecte des informations personnelles des consommateurs par les compteurs Linky est gérée.
Plus précisément, elle demande au gestionnaire de réseau Enedis d’obligatoirement obtenir le consentement de l’usager avant de récupérer ses données de consommation mensuelles.
D’autre part, elle demande aux fournisseurs tels qu’EDF et Engie de récupérer une « autorisation lisible, explicite, éclairée et univoque » de la part du consommateur lors de la récolte de données plus précises (données quotidiennes, horaires ou plus fines) transmises par le compteur. Cette autorisation permettrait alors au consommateur de suivre sa « courbe de charge » (données de consommation fines à l’heure ou la demi-heure).

 
 

Notre avis sur le compteur Linky ?

Le marché de la fourniture d’électricité évolue de manière significative. D’une part, les moyens de production se développent, notamment avec le déploiement de nombreux projets de production d’énergie renouvelable (dont la production n’est pas linéaire mais principalement dépendante des conditions climatiques) et, d’autre part, la consommation globale augmente chaque année, avec des risques sur la sécurité d’approvisionnement durant les pics de consommation en période de grand froid. Afin de gérer ces évolutions et les défis qui y sont liés, le compteur communicant Linky nous semble être un outil essentiel à l’évolution du marché de la fourniture d’électricité.
Cependant, nous constatons, en tant qu’interlocuteur privilégié des consommateurs, d’importants problèmes de communication liés au compteur Linky. Ces difficultés sont exprimées par les ménages lors des rencontres (permanences et soirées d’informations) que nous organisons lors des achats groupés à destination des habitants d’une même collectivité. Selon nous, à l’analyse des problématiques communiquées par les consommateurs, il y a un manque important de pédagogie de la part des Autorités et d’Enedis sur les raisons du changement de compteur et les intérêts que peuvent présenter ce nouveau compteur Linky. Pire, celui-ci est présenté comme un outil devant permettre l’autorégulation des pratiques de consommation… Mais la majorité des consommateurs n’ont pas accès à leurs données ! Il semble indispensable d’informer les consommateurs sur la manière de consulter leurs données de consommation et d’en faciliter l’interprétation.
À cela s’ajoute des informations/désinformations sur le sujet, comme la possibilité ou non de s’opposer à la pose du compteur.
Enfin, nous soulignons que les conditions d’installation des compteurs ne rassurent pas les consommateurs. Citons, parmi les retours d’expérience qui nous ont été transmis, les installateurs qui effectuent le changement de compteur sans avoir prévenu au préalable de leur intervention, ce qui peut avoir des effets néfastes sur des appareils électroménagers restés branchés ; des installateurs pressés d’installer le compteur, afin d’en installer le plus grand nombre sur une seule journée, dont le travail laisse à désirer, etc.

En conclusion, le compteur Linky présente des intérêts essentiels pour l’évolution du marché énergétique et la transition écologique. Il est cependant indispensable d’améliorer la communication et les outils afin de permettre aux consommateurs de s’approprier cet outil. Beaucoup de travail reste à accomplir sur ce sujet et nous espérons que des enseignements seront tirés de cette expérience pour améliorer la pose du nouveau compteur de gaz, Gazpar.